Je savais que ça serait une grande nuit.
Ce soir, ça ne sera pas une promenade dans la foule dans l'ombre, avec Maman qui me tient par la main tout le temps: ma grande sœur Thi m'a promis qu'elle m'emmènerait avec elle ce soir. Elle a dit qu'on irait sur la rivière avec Papy Thống et son bateau de tourisme.
On va aller lâcher des lanternes sur la rivière.
Ce matin, au lieu d'aller cintrer des baguettes et se coller les doigts pour faire des lanternes, ma grande sœur Thi m'a montré comment faire des fleurs de lotus en papier. D'abord, on a du couper le papier en carrés. Et puis on a plié et encore plié. Quand on a fini, ça faisait comme des fleurs, comme des petits bateaux. Et puis Grande Sœur m'a emmené chercher des bougies, et on en a rapporté plein de petites toutes plates. On en a allumé quelques unes juste pour voir. J'avais hâte d'être à ce soir.
Quand la nuit est venue, on est allés sur le quai, et on a trouvé la barque de Bác Thống parmi les autres bateaux. Dès qu'on s'est écartés de la berge, je regardais la rivière devant nous. La pleine lune toute ronde était déjà haut au-dessus de l'eau. Je pouvais voir dans le bateau rien qu'au clair de lune. Bercés par la poussée rythmée des rames de Bác Thống, j'ai commencé à préparer les bougies pendant que Chị Thi déballait les fleurs.
Chị et moi on était assis très bas au-dessus de l'eau. Bác Thống était debout à l'arrière, et ramait avec ses deux grandes rames croisées, montées haut au-dessus du plat-bord. Chị Thi mettait des bougies tout allumées sur les fleurs en papier: l'étrave de la barque était tout illuminée comme une devanture de marchand d'or.
“Vas-y, tu commences”, dit-elle. J'était tellement absorbé par le noir d'encre du dehors et par les lumières du dedans qu'un instant je n'ai pas compris ce qu'elle me disait.
J'ai pris ma première fleur et je l'ai posée sur l'eau juste de l'autre côté du plat-bord. Et je l'ai laissée glisser. Et elle est partie, et j'ai eu comme un pincement au cœur, à laisser partir une petite fleur si simple et si fragile avec sa lumière vacillante sur la grande rivière, tout environnée du miroitement de la lune dans les vagues. D'un coup elle était hors de portée. Comme je la regardais, Chị Thi m'en a tendu une autre avec un gloussement: “Ne la laisse pas toute-seule”.
En revenant à moi, j'ai pris la deuxième et je l'ai laissée flotter après la première. Bác Thống ramait doucement en arrière pour les laisser s'écarter. Elles étaient séparées, toutes seules. Bientôt nous en lancions d'autres pour leur tenir compagnie. Et elles prenaient déjà une vie à elles. Parties pour une aventure sur cet immense monde d'eau qu'est le Mékong. Pour un instant, je n'étais plus sur qu'on rentrerait, nous-mêmes.
Alors qu'on en était à nos dernières fleurs, on a été dépassés par d'autres bougies flottantes qui venaient de derrière nous. Je me suis retourné, et là… Ouaaah !
La rivière était toute couverte de fleurs allumées, qui flottaient et projetaient leur faible lumière vers les beateaux derrière nous. Ils étaient assemblés en amont, couverts d'enfants et gens et de lumières. Ils avaient eux aussi lancé des fleurs sur la rivière. Maintenant on était entourés de bougies flottantes, qui ondulaient avec les vaguelettes tranquilles de la rivière! Quel spectacle!
On a laissé notre dernière fleur partir. Bác Thống a fait faire demi-tour à la barque, et on s'est mis à rentrer, avec la pulsation tranquille des rames de Bác Thống. “Pas trop vite, Bác”. Mais je pouvais voir qu'il était lui aussi émerveillé.
Et pour quelques minutes qui resteront gravées pour toujours dans ma mémoire, nous étions au milieu d'une rivière de lumières douces.
Je savais que ca serait une grande nuit!
En 2021, le Tết Trung Thu tombe le 21 Septembre.
De jour, Bác Thống emmène des voyageurs au marché flottant pour le petit déjeuner.