Un vapeur nommé Bassac navigait le Mékong au XIXème siècle.
L'histoire des Messageries Fluviales de Cochinchine a eu des hauts et des bas, et a été plus ou moins morale, mais s'il y a bien une chose qu'ils savaient faire, c'était s'équiper de bateaux adaptés à leur mission. Si les premières chaloupes étaient rapides pour leur temps, et assez légères pour être transportées au-travers de Khône, les vapeurs qui navigaient le bas Mékong étaient, eux, bien adaptés à cette région.
Quand les Messageries ont eu à établir une ligne vers l'ile de Khône, les Vapeurs de Première Classe d'alors n'étaient pas assez rapides pour remonter le courant en hautes eaux, et ils mirent en service le vapeur hors classe Bassac, le premier bateau à cabines capable de remonter le Mékong jusqu'au Nord du Cambodge et d'héberger des passagers la nuit au besoin.
Le Bassac était un vapeur hors classe, capable de filer 12 noeuds (environ 20km/h sur eau étale) aussi voire plus rapide que les chaloupes de seconde classe (navigant de jour) qui étaient employées sur cette route jusqu'alors. Il suivit la route de Châu Đốc à Phnom Penh puis en amont jusqu'à la station Sud de l'ile de Khône, où il a accueilli une fois le gouverneur général Paul Doumer. À partir de Juillet 1896, il fut rejoint par un alter ego, le Viên Chan1).
Son étrave droite et fine et son haut franc-bord suggèrent que le premier Bassac ait pu être concu pour naviguer vers Saïgon, où avant 1910 il aurait du franchir le bras de mer de rạch nước mạn, soumis à la houle.
Le Bassac fut emménagé au pont supérieur et équipé de ventilation électrique seulement en 1914 et sur l'ordre spécifique du Gouvernement Général de l'Indochine lors du contrat relatif au service postal, qui ne laissait plus grand-chose au bon vouloir des Messageries2).
Plus de cent ans après, les dimensions des bateaux restent dictées par les caractéristiques des cours d'eau qu'ils naviguent, avec la contrainte de passer des ponts qui n'existaient pas à l'époque. Nous avons retenu des dimensions très proches. Les Bassac d'aujourd'hui suivent avec le bénéfice de la technique moderne les choix des pionniers du XIXème siècle: Même tonnage, même vitesse, et mêmes dimensions, alors que nous ne connaissions pas le Bassac originel quand nous avons concu les nôtres.
Aujourd'hui comme alors, pour pouvoir faire demi-tour sur les voies secondaires comme le canal de Chợ Lách, il faut toujours faire moins de quarante mètres de long. C'est très important pour des raisons de sécurité: les chalands de matérieux et leurs pousseurs entrent dans le sens du courant, et si l'un d'entre eux se met en travers et bloque le traffic. Si on les suit, comme on est dans le sens du courant, il faut pouvoir se retourner pour se mettre à l'ancre.
Le tirant d'air des Bassac d'aujourd'hui respecte aussi les mêmes contraintes qu'à l'époque: en cas de fort coup de vent, et un violent coup de torchon peut arriver de façon très subite pendant la mousson, il faut être suffisament bas sur l'eau pour garantir la stabilité et pouvoir profiter de la protection de la végétation. Comme ils n'ont pas dans les fonds l'énorme charge d'une machine à vapeur, avec sa chaudière et son stock de charbon pour les stabiliser, nos Bassac sont construits probablement plus larges que le vapeur historique pour pouvoir soutenir un coup de torchon même à découvert et réduire le tirant d'eau.
“Chez Rueff, la table et l'hygiène du bord restèrent jusqu'au bout très insuffisantes et ce ne fut que vers 1910 que, aiguillonnée par l'approche de l'expiration de ses contrats, la société consentit à placer 4 pauvres cabines […] et [à] doter enfin les vapeurs d'une si pale lumière électrique que les passagers devaient renoncer à toute lecture après le coucher du soleil.”3)
Heureusement que les Bassac d'aujourd'hui ne respectent pas aveuglément tous les standards mis en pratique par nos glorieux prédécesseurs. Aujourd'hui, plus besoin de bougie à l'entre-pont, près des chevaux et de la volaille pour pouvoir lire le soir.
Ce texte est extrait d'un article plus long: Un Bassac au XIXème siècle, qui porte une bibliographie.